
Nafsi safiyye - La Consolidation
Septième et dernier degré du nafs, Nafsi safiyye, est souvent désigné comme l’âme pacifiée, voire parfaite. Néanmoins, l’âme ne saurait atteindre la perfection absolue, car sa nature intrinsèque demeure imparfaite. Elle peut accéder à un état de pacification totale de manière temporaire, lors de moments de contemplation ou en divers instants de la vie quotidienne, mais cet état reste éphémère.
Cependant, le cheminant spirituel ayant atteint le degré de Nafsi safiyye, après avoir triomphé des ruses de l’âme au fil de son parcours, détient les ressources nécessaires pour persévérer dans la stabilisation et la pacification de celle-ci. Il n’en demeure pas moins que même ceux qui ont atteint une maîtrise de leur âme resteront des êtres humains, toujours soumis à des désirs et des pensées parasites qui ne disparaîtront jamais complètement.
Le cheminant (salik) doit donc maintenir une vigilance constante vis-à-vis de son âme jusqu’à son dernier souffle, car le risque de retomber dans les stades antérieurs de l’âme subsiste toujours.
Il existe plusieurs types de Nafsi safiyye :
1. Nafsi safiyye du Prophète Muhammad (SAW) : Parfaite, elle atteint le degré d’intimité le plus élevé avec le Seigneur, à savoir Maqam Mahmoud, un degré inégalé par tout autre Prophète ou saint.
2. Nafsi safiyye des Prophètes : Supérieure à celle des saints.
3. Nafsi safiyye de la Sainteté : Vécue par les Mourshides, guides spirituels des itinérants, ainsi que par les saints sans fonction d'enseignement.
Mais comment parvient-on à Nafsi safiyye ? Combien de temps faut-il pour se stabiliser dans ce degré, malgré les rechutes occasionnelles vers les états antérieurs de l’âme ?
Pour expérimenter Nafsi safiyye, il convient d’abord de maîtriser Nafsi marziyye, avec ses bienfaits, tels que la rencontre avec son Seigneur personnel, ainsi que les épreuves qui l’accompagnent.
Nafsi safiyye incarne le degré de la consolidation, durant lequel l’itinérant, sur une période de quelques mois voire de quelques années, doit digérer, assimiler et maîtriser tout ce qu’il a acquis tout au long de son cheminement spirituel.
À ce stade, le cheminant doit également s’efforcer de se débarrasser de toutes les mauvaises habitudes entravant sa connexion avec le Seigneur. Ce processus est unique à chacun, car chaque âme et chaque nature (fitra) sont distinctes.
L’itinérant doit aussi se détacher de toutes les visions et ouvertures qu’il a pu expérimenter sur son chemin. Tant qu’il ne reconnaît pas que l’imagination créatrice et les ouvertures qu’elle génère, y compris son état de Baqa Billah, sont des voiles, il continuera à être éprouvé.
Au début du parcours, le Mourshid peut constituer un voile à la contemplation de la Lumière Muhammédienne (Nafsi Moutmainn). À mi-chemin, la Lumière Muhammédienne peut devenir un voile à la contemplation du Seigneur personnel (Nafsi marziyye). Et au niveau de Nafsi safiyye, c’est le Seigneur personnel, manifesté dans l’imagination créatrice, qui devient un voile.
Pourquoi la connexion et la connaissance du Seigneur personnel peuvent-elles constituer un voile ? Parce que leur contemplation devient une entrave à celle de l’Essence divine.
Nafsi safiyye est le degré de la servitude la plus absolue. On attend du cheminant qu’il abandonne l’imagination créatrice, là où la volonté personnelle persiste, pour vivre un total lâcher-prise. Il doit dépasser la forme afin de contempler l’informe.
À ce stade, il n’y a plus de demande ; l’itinérant s’abandonne à Dieu, plaçant toute sa confiance en Lui. Un Nafsi safiyye accompli est celui qui vit pleinement le Tawakkoul (l’abandon confiant à Dieu). L’esprit ne crée plus, mais aide l’âme à s’abandonner entièrement au Divin, au point de se percevoir tel un simple caillou entre les mains de Dieu. On laisse Dieu prendre les rênes de notre existence, avec la conviction profonde que le Seigneur nous accorde toujours ce qu’il y a de meilleur pour nous.
La seule contemplation permise est celle de l’Essence, bien que sur terre, en tant qu’êtres humains, nous ne puissions en contempler que des fragments. Les autres contemplations, fondées sur l’imagination créatrice, deviennent alors dangereuses ; le dhikr et les invocations se transforment en voiles.
Ainsi, Nafsi safiyye incarne le degré de la servitude la plus complète lorsque le Tawakkoul s’ancre profondément dans notre cœur. On ne demande pas, on n’invoque pas, on contemple. Le contrôle cède sa place à l’abandon à l’informe. Nafsi safiyye représente le degré de l’espérance en Dieu seul, non en nos propres capacités.
C’est là le dernier enseignement qu’un Mourshid peut transmettre à son disciple : le vécu sincère et enraciné du Tawakkoul. Dès lors, l’enseignement du Maître spirituel s’achève… mais pas la Voie. Dieu étant infini, la Voie est infinie. Jusqu’à nos derniers instants sur terre, il nous faut veiller à ce que notre âme ne se détourne pas du Tawakkoul. La vigilance doit alors redoubler.
Le but ultime de l'itinérant
En vérité, quel est le but ultime de la voie spirituelle, le Seyr u Sülûk, ce cheminement intérieur vers Dieu ? Il ne s’agit ni d’accumuler lectures et érudition, ni de se perdre dans l’océan d’ouvrages soufis. Certes, la sagesse des maîtres éclaire le voyage, mais la finalité ne réside pas dans la quantité de savoirs acquis. Elle se trouve dans la réalisation vivante et intime de ce que Dieu a déjà révélé. Le Saint Coran, dans la profondeur d’un seul verset (sourate 3, verset 159), condense et exprime avec perfection le but que tout croyant est appelé à atteindre.
Coran 3:159
« C’est par une miséricorde émanant d’Allah que tu as fait preuve de douceur à leur égard. Si tu avais été rude, au cœur dur, ils se seraient détournés de toi. Pardonne-leur donc, implore pour eux le pardon divin, et consulte-les dans les affaires. Puis, lorsque ta résolution est prise, place toute ta confiance en Allah. Car Allah aime assurément ceux qui s’en remettent à Lui. »
La douceur comme miroir de la Miséricorde
Le verset débute par un rappel fondamental : la douceur n’est pas un simple trait de caractère, mais une grâce infusée par Allah. Elle est le parfum de Sa miséricorde répandu dans le cœur de Son Envoyé, et par lui, un modèle pour toute la communauté.
Être doux, c’est refléter une étincelle de la Rahma divine. La rudesse, elle, brise les liens et disperse les âmes. Mais la tendresse rassemble, cicatrise et attire. Ainsi, la douceur devient la première marche du chemin : celui qui veut voyager vers Allah doit apprendre d’abord à être un havre pour son prochain, une source de consolation pour les cœurs blessés, un abri contre la dureté du monde.
Le pardon
Vient ensuite une prescription : pardonner. Pardonner, c’est libérer son propre cœur du fardeau de la rancune et du jugement. Celui qui pardonne ne nie pas la faute, mais il l’élève au-dessus de lui-même pour la confier à Allah.
Le Tawakkoul : l’horizon du cheminement
Après l’effort, vient l’abandon. Le verset ordonne : « Lorsque ta résolution est prise, place ta confiance en Allah. » Ici, la perfection du cheminement se dévoile : le croyant agit avec sérieux, consulte, réfléchit, mais une fois sa décision arrêtée, il se dépose entre les mains du Réel.
Le Tawakkoul n’est pas la passivité, mais l’acte le plus actif de l’âme : renoncer à croire que notre force ou notre intelligence sont la source de l’accomplissement. C’est vivre chaque instant comme si Allah était devant nous, invisible mais présent, discret mais attentif, et Lui dire à chaque souffle : « Je T’appartiens, c’est à Toi que je me fie. »
Le sceau du verset : l’Amour divin
Enfin, la promesse descend comme une pluie de lumière : « Allah aime ceux qui placent leur confiance en Lui. »
Le voyage trouve ici son but ultime. Tout ce que nous faisons – douceur, pardon, confiance – n’est pas une fin en soi, mais une voie vers Son Amour.
Et qu’y a-t-il au-delà de Son Amour ? Rien.
Celui qui l’obtient a atteint la station suprême, celle des âmes apaisées et agréées (Nafsi marziyye).
Être aimé d’Allah, c’est être enveloppé dans Sa satisfaction, guidé dans ce monde et accueilli dans l’autre.
La boussole de l’itinérant
Ce verset, à lui seul, résume le Seyr u Sulûk. Il trace la carte du voyage :
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À l’extérieur : la douceur, le pardon.
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À l’intérieur : le Tawakkoul, la remise totale.
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À la finalité : l’Amour d’Allah, trésor des deux mondes.