
Qu'est-ce que le Soufisme ?
Le terme Soufisme résonne à l’oreille occidentale comme une évocation à la fois mystérieuse, folklorique et exotique, semblable à un écho lointain d’une sagesse orientale auréolée de mysticisme. On pense par exemple directement aux derviches tourneurs.
Dans l’imaginaire collectif, il tend parfois à être perçu sous un prisme manichéen : d’un côté, un islam rigide, dogmatique, où l’on dépeint les tenants d’une orthodoxie inflexible, sourds aux subtilités spirituelles ; de l’autre, un soufisme idéalisé, où ses adeptes, animés d’un amour inconditionnel pour Dieu, seraient les dépositaires exclusifs d’une spiritualité lumineuse et profonde.
Pourtant, la réalité est autrement plus nuancée. Loin d’être un havre de pureté spirituelle, les cercles soufis peuvent quelquefois être également le théâtre de nombreuses failles humaines. Ayant grandi au sein de ces milieux, j’y ai aussi rencontré à un petit nombre de reprises des individus à l’âme tourmentée, parfois en proie à des désordres psychologiques manifestes. Ce n’est pas sans raison que le regretté Cheikh Nazim, en parlant de sa zawiya de Chypre, la qualifiait avec une pointe d’ironie d’asile psychiatrique…
Quelle est donc l’essence du Soufisme ?
Le Soufisme ne constitue ni une doctrine à proprement parler ni un courant séparé de l’Islam. Il s’apparente davantage à une méthodologie, une voie visant à perfectionner la pratique religieuse et à approfondir la quête intérieure du divin.
Cette voie est-elle nécessaire ?
La nécessité de cette discipline dépend avant tout de la disposition intérieure de l’individu.
Traditionnellement, la démarche soufie implique l’accompagnement d’un Mourshid Kamil, un maître spirituel accompli, garant de l’authenticité de l’initiation et de la progression du disciple.
Cependant, si une personne parvient, en toute autonomie, à établir une communion constante avec Dieu, si elle est capable de demeurer en silence, dans la réceptivité absolue à Sa présence, et si elle a entrepris un travail profond sur son nafs (l’ego), alors cette voie ne lui est pas indispensable.
À l’inverse, si cette résonance intérieure lui est étrangère et qu’elle ne ressent même pas le désir de la rechercher, le soufisme demeure pour elle une quête superflue.
Toutefois, si un besoin impérieux se manifeste, si une aspiration profonde pousse à rechercher une élévation spirituelle et une pacification de l’âme, alors il se pourrait que l’heure soit venue d’embrasser cette voie initiatique.
Quel est le but du Soufisme ?
Le soufisme postule qu’un trésor sommeille en chaque être humain. La finalité du cheminement soufi consiste à guider l’aspirant vers la découverte et la maîtrise progressive de cette richesse intérieure.
Ce chemin est-il long ?
Il peut l’être, en effet. Le Soufisme est une science de l’âme qui requiert patience et persévérance. Il repose sur un processus graduel de pacification intérieure, et chaque disciple suit un itinéraire singulier, marqué par ses propres épreuves et résistances.
Pourquoi cette quête est-elle laborieuse ?
Parce qu’un trésor, par nature, est d’une valeur inestimable et ne saurait être approché avec précipitation. Il ne doit être ni brisé ni dilapidé.
Le Soufisme enseigne ainsi un cheminement méthodique : il ne s’agit pas simplement de prendre conscience de l’existence de ce trésor, mais de l’apprivoiser progressivement. L’objectif est qu’au moment où il est pleinement révélé, il soit accueilli avec une pleine conscience de sa sacralité, évitant ainsi qu’il ne soit gaspillé ou employé inconsidérément.
Le Soufisme est-il indispensable ?
Les voies du Seigneur sont impénétrables. Il existe des âmes qui, sans avoir jamais entendu parler de cette quête spirituelle, jouissent d’une proximité divine que même les initiés ne sauraient atteindre.
Dieu accorde Sa grâce à qui Il veut. Certains, sans effort particulier, sans pratiques ascétiques ou expériences spirituelles manifestes, se verront attribuer une station élevée dans l’au-delà.
En revanche, l’engagement dans la voie soufie n’est pas une garantie absolue de réussite. Loin d’être un chemin sûr et dénué d’écueils, il s’agit parfois d’un sentier périlleux. Celui qui s’y engage sans discernement, puis s’égare, risque de connaître des chutes d’autant plus vertigineuses. Il aurait peut-être mieux valu pour lui ne jamais entreprendre cette quête, car l’initiation spirituelle comporte ses dangers, et toute ascension vers les sommets comporte aussi le risque du précipice.
Peut-on concevoir un Soufisme sans Islam ?
Le soufisme, à l’instar des autres traditions spirituelles, repose sur la guidance d’un maître. Or, en Islam, le maître suprême, l’archétype du guide spirituel, n’est autre que le Prophète Muhammad (saw) dont l’exemplarité incarne la perfection de la voie initiatique.
Ainsi, le Soufisme ne saurait exister en dehors de l’Islam. Il ne s’agit pas d’une spiritualité autonome ou d’une quête ésotérique indépendante, mais d’une dimension intérieure de la religion révélée.
Si l’Islam constitue la structure, la Loi qui encadre la vie du croyant, alors le Soufisme en est l’âme, l’élan intérieur qui pousse à transcender les formes pour en atteindre la substance.
En définitive, le soufisme n’est ni un simple courant mystique ni un refuge pour âmes en quête d’émotions spirituelles. Il est une discipline rigoureuse, un chemin exigeant, où l’éveil ne se mesure pas à la ferveur des sentiments mais à la purification de l’âme et à la proximité réelle avec le Divin.