
Rencontrer des âmes négatives
Au cours de notre existence, nous serons inévitablement amenés à croiser des âmes qui peuvent nous paraître négatives : certaines nous jalouseront, d’autres nous critiqueront, d’autres encore nous éviteront. C’est comme ça…
Ainsi va la vie… et plus encore la Voie spirituelle.
Ces âmes ne sont pas rencontrées par hasard ; elles nous sont envoyées par le Seigneur afin de nous offrir un miroir sur notre propre évolution. Elles sont des épreuves, des instruments permettant de jauger notre avancement sur le chemin.
Si, parmi dix personnes, huit adoptent une attitude paraissant négative envers un cheminant, c’est, en réalité, un signe encourageant. À condition toutefois que celui-ci discerne la précieuse leçon dissimulée derrière cette épreuve. En vérité, c’est un appel divin : un processus subtil par lequel Il délite progressivement les liens du disciple avec les créatures, afin de lui permettre de mieux Le rencontrer.
Toutefois, pour un cheminant encore novice, la sagesse veut qu’il se préserve de ces âmes qui lui semblent nuisibles, du moins jusqu’à ce qu’il parvienne à un stade où il puisse communier pleinement avec les attributs divins et goûter leur amour sans entrave. Avant d’atteindre cette maturité spirituelle, une trop grande proximité avec ces âmes peut constituer un frein à son évolution.
Cependant, il arrive un moment où l’on ne nous demande plus de nous éloigner, mais bien de rester au contact de ces âmes.
Les milieux soufis : un terrain d’apprentissage
Les cercles soufis, loin d’être des havres de perfection, sont un remarquable terrain d’entraînement. Ils regorgent d’individus aux personnalités variées, parfois troublées, qui nous offrent l’opportunité de mieux nous comprendre nous-mêmes.
D’ailleurs, la pureté d’une âme ne saurait être jugée à l’aune de ses convictions religieuses ni de son appartenance à une voie spirituelle.
J’ai rencontré des juifs et des chrétiens, non particulièrement pratiquants, dont la noblesse d’âme surpassait celle de nombreux musulmans engagés dans le soufisme au sein d’une confrérie. Cela est un fait, que cela plaise ou non.
L’âge, non plus, ne garantit en rien la sagesse. Au contraire, au fil des ans, certains deviennent irrémédiablement ancrés dans leurs travers, même s’ils sont sous la direction d’un maître réputé comme le pôle de son époque par certains.
Préserver son trésor intérieur
Mon Mourshid m'avait dit en 2018 à Médine :
"Sur le chemin, notre sac se remplit progressivement de précieuses pièces d’or, symboles de nos réalisations intérieures. Mais certains tenteront de percer ce sac, d’autres voudront s’emparer de ces pièces.
Nous devons veiller à protéger notre sac."
Oui, nous rencontrerons des êtres envieux, d’autres chercheront à nous imposer leur vision, certains monopoliseront la parole pour mieux nous contredire.
Sur près de 25 ans, dans certaines tarika, j’ai observé des tensions conjugales marquées par des comportements toxiques, allant de la manipulation psychologique à la jalousie excessive, ainsi que des personnes inflexibles dans leur réalité, jugeant et faisant la morale à d’autres dès que l’occasion se présentait.
J’ai aussi rencontré des gens frustrés et des figures d’autorité dont l’influence nuisible pouvait fragiliser des couples et des foyers.
Autant dire que c’était une véritable cour des miracles, peu importe le continent ou la ville (Istanbul, Paris, Berlin, Buenos Aires…).
Pourtant, ces individus possédaient de profondes ouvertures spirituelles et observaient avec rigueur les obligations religieuses – prière, jeûne – d’une manière irréprochable.
Cela nous rappelle une vérité fondamentale : sans la pacification du nafs, tout demeure vain, y compris notre islam.
Un exercice essentiel pour l’âme
Il n’existe pas de meilleur endroit qu’un cercle soufi pour se forger.
Ces assemblées récitent en chœur « Allah, Allah », invoquent les noms divins, et malgré tout ce que l’on peut y observer, elles demeurent bénéfiques : on en ressort toujours avec une leçon précieuse.
Mais il serait erroné de croire que les âmes qui nous paraissent négatives se cantonnent aux confréries. Elles se rencontrent partout : au travail, dans la rue, lors d’activités sportives, dans les transports, sur la route…
Elles sont un reflet de notre propre état spirituel, un moyen par lequel nous pouvons mesurer notre progression vers Lui.
Nous perdons la bataille dès lors que nous laissons l’agacement nous envahir, que nous entrons en conflit ou que nous nous éloignons d’elles avec amertume.
Toutefois, par Sa miséricorde, Dieu nous offrira d’autres occasions de nous éprouver, jusqu’à ce que nous atteignions le détachement véritable.
Que Dieu nous accorde la grâce de demeurer indifférents aux agissements de ces âmes, de les accueillir telles qu’elles sont, et de prier pour elles sans jamais les juger. La rigueur, c’est envers nous-mêmes que nous devons l’exercer, non envers autrui. Telle est la condition essentielle pour être agréé auprès de Lui et parvenir à l’ultime accomplissement du cheminement spirituel.
"Et endure ce qu'ils disent; et écarte-toi d'eux d'une façon convenable." [Coran Sourate Al-Muzzammil: 10]
Aujourd’hui, certaines âmes peuvent nous sembler empreintes de négativité, mais demain, nous pourrions à notre tour être perçus ainsi par autrui. C’est pourquoi nul ne peut avoir la certitude de son avenir ni de la place qui lui sera réservée dans l’au-delà. Que Dieu nous préserve de toute déchéance et nous accorde une fin digne et paisible.
Les turcs aiment souvent dire « Allah sonumuzu iyi etsin », qui se traduit par « que Dieu nous accorde une belle fin ».
Nos derniers instants sur terre, sont notre dernière ligne droite. Tout se joue à ce moment. C’est pourquoi il faut partir du principe que chaque jour pourrait bien être notre dernier…