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Naqshbandi et Tawajouh

Au cœur de la tradition soufie, la confrérie Naqshbandi se distingue par son attachement à la sobriété intérieure et à la présence du cœur. Fondée au XIVᵉ siècle par le maître éminent Bahaddin Naqshband, également connu sous le nom de Sah Naqshband, elle incarne une voie de silence et de lumière, dont le fil d’or relie les maîtres d’hier aux disciples d’aujourd’hui.

Dans cette voie, deux pratiques spirituelles occupent une place singulière : la Rabita et le Tawajouh, toutes deux enracinées dans la tradition des maîtres et transmises de cœur à cœur.

Histoire et fondements de la confrérie soufie Naqshbandi

Muhammed Bahaddin Naqshband naquit en 1218 près de Boukhara, dans la région de la Transoxiane, alors que la région portait encore les séquelles de l’invasion mongole. Sa naissance fut perçue comme bénie : le maître soufi Muhammed Baba Semmasi, figure illustre de la confrérie Hacegan, vint avec ses disciples jusqu’à son village natal et l’accepta comme fils spirituel.

Pourtant, selon les récits traditionnels, son véritable maître intérieur fut Abdoulhalik Goujdouwani, mort depuis longtemps. Bahaddin Naqshband reçut de lui un enseignement de manière uwaysi, c’est-à-dire par voie spirituelle, sans contact direct.

Fidèle à l’école juridique Hanafi, il insista sur la pureté intérieure, l’humilité et le service silencieux. Sa voie reposait sur le dhikr silencieux (dhikr khafi), contraste saisissant avec les formes plus bruyantes d’invocation pratiquées dans d’autres confréries.

Ses disciples — notamment Muhammed Parsa et Aladdin Attar — répandirent son enseignement dans toute la Mawarannahr (Transoxiane). Sous l’élan de Oubeydoullah Ahrar, la Naqshbandiyya gagna l’Anatolie et Istanbul, devenant un courant majeur du soufisme ottoman.

Au XVIIIᵉ siècle, Mawlana Khalid Baghdadi fonda la branche dite Naqshbandiyya Khalidiyya, qui assura l’enracinement durable de la confrérie dans les territoires de l’Empire ottoman et sa diffusion vers l’Inde et le Pakistan.

Aujourd’hui, la confrérie soufie Naqshbandi reste l’une des plus vastes et influentes confréries du monde musulman, présente de l’Asie centrale aux Balkans, de la Turquie au Moyen-Orient, et jusque dans les diasporas musulmanes d’Europe occidentale. Elle continue d’incarner l’esprit originel du soufisme : intériorité, rigueur, et union de la contemplation et de l’action dans le monde.

La Rabita 

Dans la voie Naqshbandi existe la Rabita, un état de méditation où le mouride (disciple) s’efforce de visualiser une lumière émanant de son Mourshid et pénétrant son propre cœur. Cette première étape est une Rabita voulue : c’est le disciple qui initie volontairement l’exercice, afin d’éveiller en lui l’imagination créatrice.

Avec le temps, cette pratique devient spontanée : la présence lumineuse du maître peut apparaître d’elle-même à tout moment de la journée, sans effort de la volonté. On parle alors de Rabita subie, signe que l’« œil du cœur » commence à s’ouvrir.

Progressivement, cette lumière se dilate : d’abord vers le Prophète Muhammad (la contemplation de la lumière muhammadienne), puis vers les attributs divins, jusqu’à la rencontre du Seigneur personnel. Cette imagination créatrice introduit le disciple dans le monde du Malakout, où la contemplation des saints défunts devient possible.

Mais cette étape est périlleuse si elle n’est pas accompagnée d’un travail constant sur le nafs : certains disciples croient être arrivés au bout du chemin (même si le chemin en soi est infini puisque le Seigneur est infini), alors qu’ils demeurent voilés à l’Essence divine. Le Malakout n’est qu’un passage ; la voie mène ultimement au Lahout, le monde du Sans-Forme, dont le but est la contemplation de l’Essence divine elle-même. Ici, il est important de préciser que, en tant qu’êtres humains, nous ne pouvons percevoir sur Terre qu’une partie de l’Essence.

De nombreux chercheurs spirituels se sont égarés en utilisant le Malakout pour d’autres fins, en tombant dans les pièges des djinns joueurs, comme on le voit chez certains marabouts ou médiums. Mais un cheminant bien guidé est préservé : le Malakout ne doit servir qu’à contempler le Mourshid, les saints défunts, le Prophète et le Seigneur personnel.

Le Tawajouh

Le Tawajouh est la Rabita inversée. Ici, ce n’est plus le disciple qui se tourne vers le maître : c’est le maître qui, à travers la plateforme subtile de l’imagination créatrice, envoie de la lumière à son disciple pour l’aider dans sa quête divine. Chaque maître le vit et le transmet à sa manière.

Il arrive qu’un disciple ressente un semblant de Tawajouh en partageant son énergie avec des proches, mais cette pratique lui est déconseillée : tant qu’il est en chemin, il n’est pas autorisé à guider. Seuls les maîtres réalisés peuvent accomplir le Tawajouh.

Pour certains d’entre eux, les disciples apparaissent sous forme de sphères lumineuses, pour d’autres sous l’apparence de leur visage ou de leur cœur. Durant ce processus, le maître peut purifier les obscurités du cœur de son disciple ou y déposer la présence divine ou celle du Prophète. Les effets se manifestent parfois sur-le-champ, parfois bien plus tard, lorsque le disciple est prêt à les recevoir.

Il existe aussi un Tawajouh de délégation, où le maître confie le cœur de son disciple à ses propres maîtres défunts, qui poursuivent alors son accompagnement. C’est un acte de lâcher-prise : le maître laisse l’esprit de la voie, ses prédécesseurs et le divin guider le cheminant.

Mon propre Mourshid disait souvent : « Nous nous occupons de toi. » Je croyais qu’il parlait par modestie ; mais après sa mort, j’ai compris qu’il parlait au nom de ses maîtres défunts, car ce sont eux qui poursuivaient son œuvre. Ayant quitté leur corps grossier, ils agissent désormais à partir de leur corps subtil, en purs esprits libérés du nafs, et peuvent ainsi guider avec une clarté accrue.

Ainsi, le Tawajouh, comme la Rabita, se déploie de façons multiples, propres à chaque disciple. Car Dieu a créé chaque âme unique, et chacun reçoit une guidance sur mesure. Le Mourshid, par sa science intérieure, discerne quelle forme de Tawajouh offrir et à quel moment, afin de conduire le disciple de la lumière du maître à la lumière muhammadienne, puis vers la contemplation de l’Essence divine.

© 2018 par Confluent

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