
Notes du 18.04.2025
Sahih al-Boukhari
XXIX : Livre de la pénalité contre la chasse (900)
Face au vieil homme qui allait à la Kaaba à pied en s’appuyant sur ses deux fils, le Messager dit :
« Allah n’a aucun besoin de la torture que celui-ci s’inflige. »
Ce hadith peut sembler anodin à première vue, mais il transmet un message fondamental sur la nature de l’islam : c’est une religion de modération, de miséricorde et de rejet des extrêmes.
Un vieil homme s’était imposé une épreuve difficile – marcher jusqu’à la Kaaba à pied – pensant probablement que cela augmenterait sa piété ou sa récompense. Pourtant, le Prophète n’a pas critiqué le voyage en soi, mais l’excès inutile, la souffrance volontaire que Dieu n’a ni demandée ni encouragée.
Cela rejoint un autre hadith :
Sahih al-Boukhari
LXIII : Le livre des malades (1960)
« Soyez modérés dans vos œuvres religieuses et ne faites que ce qui est en votre capacité. »
L’islam interdit de s’infliger des souffrances physiques ou mentales sous prétexte de se rapprocher de Dieu. Une bonne intention ne suffit pas : les actions doivent s’inscrire dans les limites de la sagesse, de la compassion et de la modération.
Dieu n’a pas besoin de nos souffrances…
La parole du Prophète (que la paix soit sur lui) est très claire :
« Allah n’a aucun besoin de la torture que cet homme s’inflige. »
Autrement dit, Dieu ne tire ni plaisir, ni bénéfice, ni proximité d’une souffrance humaine inutile. L’idée selon laquelle il faudrait “mériter” Son amour à travers des pratiques extrêmes est étrangère à l’islam.
Dieu dit dans le Coran :
« Allah veut pour vous la facilité, Il ne veut pas la difficulté pour vous. »
(Sourate 2, verset 185)
Il est donc évident que la spiritualité en islam doit être vécue dans la douceur, sans excès, ni torture du corps ou de l’esprit.
La vraie piété passe par l’équilibre…
Ce hadith renforce ce message : l’islam n’est pas un chemin de souffrance, mais une transformation intérieure équilibrée. Une intention sincère et des actes mesurés valent plus que des efforts exténuants ou spectaculaires.
Ce récit montre donc que le Prophète n’approuvait pas les actes d’austérité excessive, même s’ils étaient motivés par une intention pieuse. L’islam nous enseigne à préserver notre corps, notre santé, notre équilibre. Toute pratique religieuse qui nuit à ces éléments s’éloigne de l’esprit du message prophétique.
Dieu ne nous demande pas de nous détruire, mais de L’adorer dans la conscience, la sérénité et l’équilibre.
…
Sahih al-Boukhari
XLII : Livre des dettes (1105)
Le Prophète dit :
« Je suis plus proche des croyants qu’eux-mêmes, dans ce monde et dans l’au-delà. »
C’est précisément cet état (pour les cheikhs Naqshbandi) que nous éprouvons dans le Fana Fi Rassoul : une condition où la proximité et la contemplation du Prophète atteignent une telle intensité que sa présence nous devient plus intime que notre propre être.
De nombreux cheikhs évoquaient cet état en le désignant par l’expression Nour Muhammad, c’est-à-dire la contemplation de la lumière muhammadienne. Dans un langage plus accessible et moins ésotérique, cela faisait référence à la vision de l’esprit du Prophète à l’état de veille.
En réalité, l’amour vivant que nous ressentons pour notre Mourshid se transpose sur le Prophète (paix et bénédiction sur lui). Il (SAW) ne nous apparaît plus comme une figure lointaine, seulement évoquée dans le Coran et les Hadiths, mais comme un proche, un grand frère bienveillant.
Pour beaucoup, au début, il peut apparaître en rêve, le visage dissimulé, jusqu’au jour où, en rêve, son visage se dévoile, pour finalement apparaître peu à peu en contemplation (müşâhede en turc). Le but est alors de digérer cet état (hâl) pour le transformer en habitude (maqâm).
...
Sahih al-Boukhari
LIII : Livre de la guerre (1284)
Nous étions (Abou Moussa Al-Achari) avec le Prophète en voyage. Lorsque nous surplombions une vallée, nous criions à très haute voix : « La ilaha illallah » et « Allahou Akbar ».
Le Prophète nous dit :
« Ô les gens ! Ayez pitié de vous-mêmes. Vous n’appelez pas quelqu’un de sourd ou d’absent. Il est avec vous. Il est tout proche, et Il entend tout. »
Ce hadith, d’une rare beauté, contient un rappel profond sur la manière dont on doit invoquer Allah. Le Prophète ne s’est pas opposé au dhikr (le rappel d’Allah), mais à la forme excessive qu’il avait prise — des cris, de l’exagération, une agitation extérieure qui trahissait un oubli de la présence divine immédiate.
Il enseigne ici que le dhikr ne doit pas être une démonstration extérieure ou une performance vocale. Il doit jaillir d’un cœur apaisé, conscient que Dieu est tout proche, entendant et omniscient.
Le Coran lui-même recommande la discrétion dans le rappel :
« Et invoque ton Seigneur en toi-même, en toute humilité et crainte, sans élever la voix, matin et soir, et ne sois pas du nombre des insouciants. »
(Sourate al-A‘raf, 7:205)
Cela correspond à ce que les maîtres naqshbandi nomment le dhikr khafi (le rappel discret, caché). C’est un dhikr qui ne blesse pas l’oreille mais nourrit le cœur — un souffle intérieur, un murmure de l’âme vers son Créateur.
Ce silence n’est pas vide : il est plein de présence, de soumission et de lumière. Le dhikr silencieux devient alors un dialogue secret avec Dieu, où la langue du cœur parle plus fort que celle de la bouche.
Quand le Prophète dit :
« Vous n’appelez pas un sourd ni un absent. », il rééduque la perception des croyants. Il leur rappelle que Dieu n’est pas loin, perdu dans les cieux inaccessibles, mais plus proche de nous que notre veine jugulaire. (Coran, 50:16)
Invoquer Dieu, c’est se tourner vers Lui avec douceur et conscience, car Il est là, présent dans chaque souffle, attentif à chaque soupir.
Un dhikr de l’âme, et non des cordes vocales.
Trop souvent, nous croyons que plus un dhikr est bruyant, plus il est puissant. Ce hadith vient briser cette illusion. Le Prophète nous enseigne la compassion envers nous-mêmes :
« Ayez pitié de vous-mêmes »
C’est-à-dire : ne forcez pas, ne vous épuisez pas dans un rappel qui ne touche que l’extérieur. Cherchez plutôt la douceur, la profondeur, la présence intérieure — car c’est cela qui nourrit l’âme.
Ce hadith est une perle de la sagesse prophétique. Il nous invite à pratiquer un dhikr profond, sincère, doux et discret, loin des cris et des formes extérieures bruyantes. Car le véritable dhikr est une présence du cœur, en compagnie de Celui qui est toujours là, toujours proche, toujours aimant.
Et si nos voix se taisent un instant, peut-être que notre cœur, lui, commencera enfin à parler.
...
Sahih al-Boukhari
LXVI : Le livre des sacrifices (1928)
Le Prophète dit :
« Celui qui abat un sacrifice ne doit pas garder sa viande après trois jours. »
L’année suivante, les gens dirent :
« Ô Messager ! Devons-nous faire comme l’an dernier ? »
Il répondit :
« Mangez-en, donnez-en à manger aux autres et épargnez-en, car l’an dernier, les gens souffraient de conditions difficiles, et je voulais que vous aidiez les nécessiteux. »
Ce hadith est d’une richesse immense. Il montre que certaines instructions données par le Prophète étaient conjoncturelles, adaptées à un contexte socio-économique précis, et non destinées à être figées dans le marbre de l’absolu religieux.
Lors de cette première année, une crise sévère frappait Médine. Le Prophète interdit alors de conserver la viande au-delà de trois jours, afin d’encourager la solidarité immédiate et d’empêcher le stockage individuel au détriment des plus vulnérables.
Mais l’année suivante, les conditions ayant changé, il modifia sa recommandation.
On voit ainsi que le contexte prime sur la lettre. Car ce hadith est une leçon méthodologique pour toute personne étudiant ou invoquant les hadiths : il est essentiel de distinguer entre ce qui est normatif (définitif) et ce qui est conjoncturel (lié à une situation particulière).
Pourtant, certains courants traditionnalistes ou néo-salafistes, dans leur approche hyper-littéraliste, prennent chaque hadith au pied de la lettre, sans discernement contextuel, sans analyse des causes, et sans égard pour les maqâsid (les finalités) de la shari‘a.
Ils appliquent parfois des prescriptions valables dans une situation donnée à des réalités totalement différentes, produisant ainsi des interprétations rigides, désincarnées, parfois même injustes.
Le Prophète, quant à lui, était pleinement attentif aux besoins de son temps, aux évolutions des circonstances, aux souffrances de sa communauté.
Il n’imposait pas un modèle unique en toutes situations. Il ajustait ses paroles à la réalité vivante, car sa mission n’était pas de construire un système figé, mais de guider les cœurs vers l’équilibre, la justice et la miséricorde.
Ce hadith nous rappelle une vérité profonde :
la religion est vivante, comme Dieu, Le Vivant (Al-Hayy). Elle respire avec le temps, les lieux et les gens.
L’imitation aveugle, déconnectée du contexte, peut devenir une trahison subtile du message prophétique.
L’exemple du Prophète montre qu’il faut avoir une compréhension nuancée, fondée sur l’intention, le contexte et le bien commun.
Il est donc impératif, pour les savants comme pour les croyants, d’examiner les hadiths au cas par cas, avec un esprit éclairé et une conscience lucide.
Le Prophète Muhammad (paix sur lui) n’était pas un législateur rigide, mais un guide profondément humain, adaptant ses décisions aux souffrances, aux urgences et aux besoins de sa communauté.
Ce hadith doit être un phare pour notre époque : il nous enseigne que la religion ne peut être réduite à une série de prescriptions figées. Elle doit être vécue avec intelligence, empathie, et conscience des réalités.
Et c’est cela, peut-être, la vraie sunna :
non pas répéter les mots du Prophète hors contexte, mais vivre son esprit de justice et de compassion dans le monde réel.